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Conversations entre amis de Sally Rooney: #ouinouin



😻
Conversations with friends
Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux
Roman- 400 pages
Editions de l'olivier - 2019


✩ Présélection jury Grand Prix des lectrices ELLE 2020 ✩



Non mais là, à un moment, il faut que je vous dise, la vacuité de ce roman... c'est terrifiant... C'est un peu comme regarder dans les yeux d'un veau, sans l'apaisement lié au vide qu'on y perçoit.

Déjà, il faut dire que rarement un livre aura aussi mal porté son titre parce que de conversation il n'est aucunement question, et les personnages sont tout sauf des amis.

L'histoire est la suivante: Frances tombe amoureuse de Nick. Sauf que Nick est marié à Melissa. Melissa elle, elle aime bien Bobbi. Bobbi c'est une fille, c'est la copine de Frances. Elles ont fricoté au lycée. Et Bobbi voit pas d'un très bon œil la relation de Frances avec Nick, même si elle est pas indifférente à Melissa, qui ne voit pas forcément de problème à ce que Nick et Frances se fréquentent, mais seulement si elle garde le statut de l'épouse de Nick...

Vous n'y comprenez rien? Normal, eux non plus. On dirait une saison des Feux de l'amour, sans la mise à distance kitsch.

Honnêtement je ne sais pas ce que l'auteure a voulu faire ou dire mais en substance c'est une histoire d’amour et d'adultère qu'on a déjà lue ou vue des centaines de fois, le panache en moins.

Autant c'était subversif quand Charlotte Brontë sortait Jane Eyre en 1847, autant aujourd’hui ça n'a plus grand intérêt et je ne pense pas qu'en 2019 il suffise d'ajouter une dose de bisexualité pour rendre la chose plus moderne.

Tout est insipide dans ce roman, les personnages n'ont aucune substance et sont comme des caricatures d'eux mêmes: des bobos artys qui se voudraient avant-gardistes mais se vautrent dans un moralisme social des plus pathétiques.

Tous se présentent ainsi comme progressistes, libres dans leur sexualité et leurs relations, mais en réalité chacun se révèle dans un strict conformisme: Frances veut l'exclusivité dans son couple, Melissa veut garder son statut marital, Nick aussi veut respecter les obligations du mariage...

A ce stade on se dit qu'on sera sauvé de ces pleurnicheries sentimentales par une substance plus politique puisque l'éditeur nous annonce fièrement que le roman se situe dans une "capitale poste crise économique où la jeunesse débat sur les ravages du capitalisme" et que "la voix de Frances (...) est celle de sa génération"

Là encore la désillusion frappe en plein visage, et personnellement j'aime pas trop ça, qu'on me frappe en plein visage.

Parce qu'alors si en 2019 débattre sur les ravages du capitalisme c'est se contenter d'écrire des choses comme "Philip souffrait d'avoir l'air riche lui aussi" ou de se définir comme "communiste" parce qu'on voudrait pas avoir "l'air riche" même si on fait des études en vivant aux crochets de papa et maman, dans un appartement mis à disposition par son tonton, tout en passant ses vacances chez des amis qui ont une villa en Bretagne... 

Apparemment c'est encore écrire:

" j'ai dit que je ressentais parfois l'envie de rejeter mon appartenance ethnique, comme si, alors que j'étais de toute évidence blanche, je n'étais pas "vraiment" blanche, en tout cas pas comme les autres Blancs".

Là, alors là, je n'ai pas de mot.

Reprenons donc, on en est là:  une bluette type Les mystères de l'amour en moins trash + une réflexion politique aussi intense qu'une mousse d'eau battue à l'air.

En l'absence de fond, reste la forme me direz-vous...

Et c'est encore un mawashi-geri, coup de pied circulaire dans la face tant le roman est dénué de style.

Je pense vraiment qu'il faut arrêter de qualifier de "poésie naïve" le vide syntaxique absolu.

Fait intéressant et révélateur, le parti pris étrange de supprimer les cadratins du récit, alors 1/ qu'on parle de sentiments (amour ou amitié peu importe) 2/ qu'on est supposé parler de "conversations".

Typographiquement, et donc symboliquement, c'est le dialogue qu'on supprime.

Et c'est précisément le gros défaut (enfin le plus gros, parce qu'il y en a beaucoup): il n'y a aucun échange, aucun dialogue.

On est face à un long monologue plaintif et autocentré, dépourvu d'humour et de recul.

On retrouve dans le récit ce qui, selon Brett Easton Ellis, caractérise cette génération des millenials: une quête constante et geignarde d'approbation mêlée à un vide existentiel vertigineux.

Chaque personnage se tripote le nombril en envoyant des textos, c'est à la fois vain et vaniteux, c'est vraiment terrible.

En bref, passez votre chemin, mais genre contournez ce roman de loin, très loin.












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