Accéder au contenu principal

Taqawan de Eric Plamondon: terreurs autochtones.






😻😻😻😻😻
(Québec)
Roman - 208 pages
Quidam Éditeur 2017
Le livre de poche 2019



Voilà un objet de littérature comme on n'en avait pas vu depuis longtemps (juste le graphisme du livre est déjà sublime), et que c'est réjouissant!

Taqawan est inclassable: en mêlant roman noir, recueil de poésie, roman initiatique, récit historique, contes mystiques et ancestraux et même livre de cuisine (oui, oui, parfaitement), Éric Plamondon créé un ouvrage hybride qu'on n'a surtout pas envie de ranger dans une case.

Ce dont on est sûr en en revanche, c'est de la beauté de la langue et de la pertinence, parfois brutale, du propos.

Parce de brutalité, l'histoire n'en manque pas, et malheureusement, elle n'a rien d'imaginaire.

Éric Plamondon revient ainsi, en entrelaçant le récit historique et une fiction subtile, terrifiante et particulièrement bien menée, sur ce qu'on a appelé la "guerre du saumon".

11 juin 1981, une jeune adolescente disparaît de chez elle alors que plus de 300 policiers de la Sûreté du Québec, sur ordre du ministre du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, pénètrent la réserve de Restigouche, dans le nord du Canada, où est parqué le peuple Mi'gmaq.

Leur objectif est clair: retirer à ce peuple de pêcheurs de saumon leurs filets, unique, ou presque, source de survie, au motif qu'ils braconneraient au-delà des quotas légaux de pêche.

Sauf que les Mi'gmaq bénéficiaient de traités leur octroyant des privilèges de pêche depuis le XVIIIème siècle.

Sauf que les Mi'gmaq faisaient bien moins de mal à la nature que la pêche industrielle.

Sauf qu'en fait à cette occasion s'exercera la violence, hélas universelle, liée au racisme le plus crasse.

La bêtise et l’absurdité de cette violence est d'autant plus frappante que le Québec à cette époque est en pleine tempête souverainiste, affirmant son unicité, luttant pour la reconnaissance de sa différence, même si le "non", un an plus tôt, l'avait emporté d'une courte tête.

Et pourtant, l'attitude du Québec à l'égard de ses "populations autochtones" reste très ambiguë, comme le résume l'un des personnages du roman selon lequel:

"Ici on a tous du sang indien et quand ce n'est pas dans les veines, c'est sur les mains"

Éric Plamondon, effleurant le pamphlet, souligne l'insoutenable incohérence d'un gouvernement schizophrène en invoquant les zones d'ombre d'un pays pourtant en avance sur bien d'autres en matière d'évolutions sociétales.

"Taqawan", chez les Mi'gmaq, désigne le saumon qui, arrivé à l'âge adulte en eaux de mer, entreprend son premier voyage de retour vers l'eau douce qui l'a vu naître.

Plus qu'un symbole donc, ce titre, qui invite le Québec, conformément à sa devise, à se souvenir de son histoire.

Taqawan est un roman absolument passionnant qu'on ne parvient pas à lâcher.

Éric Plamondon réussit à construire un récit particulièrement étoffé et cohérent sur une succession de chapitres qui se lisent quasiment indépendamment les uns des autres.

Jetez-vous dans les eaux troubles de la Restigouche, vous allez capoter!






























Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'empreinte de Alexandria Marzano-Lesnevich: de profundis

😻😻😻😻 The fact of a body, a murder and a memoir (2018) Récit Traduit de l'anglais (USA) par Héloïse Esquié Sonatine 2019 - 480 pages Je ne pense pas avoir jamais ressenti autant de soulagement à refermer un livre. Sérieusement, il FALLAIT que ça s'arrête... Je ne suis pas particulièrement sensible, enfin, disons pas particulièrement retorse aux lectures intenses, mais je dois dire que la lecture de ce livre s'est avérée très éprouvante. Dans ce récit mêlant autobiographie et nouveau journalisme, Alexandria Marzano-Lesnevich raconte comment nos convictions les plus profondes peuvent vaciller en un instant. Cet instant, pour cette fervente opposante à la peine de mort, c'est celui où, alors stagiaire dans un cabinet d'avocats spécialisé dans les dossiers où la peine de mort est encourue, elle assiste aux aveux filmés de Ricky Langley. C'est que Ricky Langley, en février 1992, a tué le petit Jeremy Guillory, 6 ans. Mais sur

Les marins ne savent pas nager de Dominique Scali: le triomphe de l'imaginaire.

  😻😻😻😻😻 Roman - 728 pages La peuplade - 2023 Mais quelle aventure que cette lecture! Dominique Scali nous débarque sur les côtes de l'île d'Ys, l'Atlantide bretonne qui a résisté aux assauts des François et des Anglois, quelque part, donc, dans l'atlantique, quelque part, a priori, au 18ème siècle. Et on débarque là, un peu comme des naufragés, dans un monde, des paysages, une langue, une histoire, des us et coutumes que l'on ne connait pas... Perdus! Et puis on rencontre Danae Poussin, l'orpheline au tempérament de feu, dont on va suivre la trajectoire jusqu'à sa mort. Avec elle on va apprendre tout ce que l'on ignore: les paysages, le vocabulaire, l'histoire, les us et coutumes... Et c'est là toute la magie du livre: Dominique Scali a créé un monde entier, elle le partage et le transmet avec un naturel proprement étourdissant. Non seulement elle invente un langage, mêlant une sorte de québécois, de vieux français et de vocabulaire maritime

Cher connard de Virginie Despentes: c'est ç'ui qui dit qui y est...

  😻😻 Roman - 352 pages Grasset - 2022 Très sincèrement, je suis assez sidérée des éloges faites à ce roman, à quelques voix discordantes près, annoncé comme "LE" roman de la rentrée littéraire, ce qui me parait injurieux à l'égard tant de la rentrée que de la littérature. J'avais hurlé au génie avec la meute pour Vernon Subutex, et je maintiens, c'est exceptionnel.  Mais là franchement... Cher connard , déjà le titre est à chier, ça sent la provoc de fin de récré, mais bon pourquoi pas (ouioui j'ai compris l'antagonisme entre "cher" et "connard"... ça rend pas la chose intelligente pour autant). L'histoire en substance c'est que Oscar, un écrivain fils de prolo (ça elle y tient aux origines) que le succès à rendu super beauf et alcolo, écrit un message sur internet pour dire qu'elle a pris cher Rebecca, fille de prolo (what a surprise) star vieillissante et droguée du cinéma français, convertie au féminisme. Rebecca lui ré