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Sibumi de Trevanian: go zen yourself



😻😻😻😻 - Coup de coeur
Roman (noir/espionnage)
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Anne Damour
Gallmeister 2008 - 456 pages
Gallmeister Totem 2016 - 528 pages



Voilà un roman difficilement classable et absolument stupéfiant, vraisemblablement à l'image de son auteur.

De Trevanian en effet, on sait peu de choses. De son vrai nom Rodney William Withaker (identité dévoilée en 1983 mais qui n'a été confirmée qu'en 1998!), il est américain et après un passage en Corée, est devenu professeur d'arts dramatiques avant de vivre reclus avec sa famille au fin fond du pays basque, puis de mourir, on se sait pas exactement quand, quelque part en Angleterre.

Lorsque, dans un (très rare) entretien accordé en 1998, par fax (!), un journaliste lui demande pourquoi Trevanian tient à tout prix à son anonymat, il répond:

"Je préfère la dignité à la richesse".

Cette phrase résume presque à elle seule son quatrième roman, publié en 1979: Shibumi et son protagoniste, Nicholaïl Hel personnage absolument fascinant.

Apatride, Nikko grandi dans le multiculturalisme. Légèrement autiste, il se passionne pour le jeu de go et la philosophie du shibumi: une acception de la simplicité comme un art, une source de paix et de dignité qui le place au dessus du commun des mortels, lesquels ne lui inspirent globalement que beaucoup d'indifférence et parfois un dangereux mépris.

"En ce moment même où je te parle, mon cher disciple, tu as du mal à admettre que des hommes inférieurs, aussi peu nombreux fussent-ils, puissent réellement te vaincre. Mais nous sommes à l'âge de l'homme médiocre. Il est triste, incolore, ennuyeux - mais inévitablement victorieux. L'amibe survit au tigre parce qu'elle se divise et persiste dans son immortelle monotonie. Les masses sont les derniers tyrans"

Nikko est comme un jedi qui ne maîtrise pas la Force, ses failles le remuent, et en feront le plus grand tueur à gage de son époque, mais un tueur philosophe, moins intéressé par l'argent que par le fait d'appuyer où ça fait mal, et de ramener à plus de mesure ceux qui se sentiraient un peu trop invulnérables.

Prenant pour prétexte une ultime mission de Nicholaï, pourtant retraité perdu au fond du pays basque, Trevanian livre une des charges politiques et sociales les plus violentes du système américain et capitaliste que j'ai pu lire depuis longtemps et dont la pertinence contemporaine, plus de 40 ans après son écriture, donne un peu le vertige.

"Car dans le monde futur, un monde de marchands et de techniciens, les impulsions primaires du bâtard seront les impulsions dominantes. L'occident est l'avenir Nikko. Un avenir sinistre et impersonnel, un avenir de technologie et d'automatisme, c'est vrai, mais l'avenir malgré tout. Et tu devras y vivre, mon fils."

Sauf que le futur, c'est maintenant...

Shibumi, c'est Le choc des civilisations, mais en roman, l'affrontement entre une amérique conquérante et exubérante et un Japon tourné vers le Soi et la recherche de l'excellence.

Le roman d'ailleurs, est construit en plusieurs manches comme une partie de jeu de go, lequel consiste à encercler les pions adverses (pour résumer en 4 mots)...

Roman visionnaire d'espionnage, à la limite de la parodie, roman initiatique et philosophique, roman historique politique, thriller spéléologique (intrigant hein?) Shibumi passionne et se lit sans compter les pages, dont le nombre peut effrayer de prime abord.

L'écriture est fluide, vive, en dépit de quelques longueurs, notamment lorsqu'il s'agit de décrire les (trop) nombreuses grottes basques.

L'ensemble forme un récit tout à fait captivant, teinté de mystère, de lucidité et d'un humour grinçant, tellement frais tant l'auteur a oublié les pincettes, et du coup, il faut le dire, absolument irrésistible :

"Il ne trouvait pas non plus particulièrement amusante l'allusion enjouée du Président, considérant l'utilisation des agents de la CIA par la Mother Company comme sa contribution à l'obligation d'employer des handicapés mentaux"

"C'était le type de fille qui recherche partout "l'opportunité", qui prend son manque de jugement critique pour de l'absence de préjugés; qui s’inquiète de la faim dans le tiers-monde, mais traîne dans un campus universitaire en compagnie d'un gros chien bourré de vitamines, symbole de son amour pour les êtres vivants"

Sincèrement, il serait vraiment, vraiment dommage de vous priver d'une telle lecture!



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