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Ils vont tuer Robert Kennedy de Marc Dugain: Oh my God, they killed Bobby!





😻😻😻😻
Roman
Gallimard 2017 - 400 pages

Avant toute chose, il me faut confesser une absence totale d'objectivité dès lors qu'il s'agit d'aborder les Kennedy, lesquels me fascinent au plus haut point.
Cette famille d'immigrés irlandais moitié mafieux-moitié vertueux, pétris de contradictions: émancipateurs misogynes et condescendants, porteurs d'espoirs de changements quand ils ne faisaient qu’asseoir une dynastie, combattants ambitieux perpétuellement endeuillés par les drames à répétition...
Les Kennedy incarnent purement et simplement le rêve américain: grandeur et décadence, amour et haine, génie et tragédie, fascination et abjection.
Pas étonnant ainsi que Marc Dugain, auteur tendance paranoïaque de talent, se penche sur leur histoire, après avoir disséqué la vie du non moins sulfureux John Edgar Hoover dans l'excellent La malédiction d'Edgar.

Un roman d'enquête troublant
Premier bon point, Dugain prend le parti de s'intéresser à celui des deux frères assassinés que l'on connait le moins, Robert -Bobby Bob- Francis Kennedy, abattu en 68, deux mois presque jour pour jour après Martin Luther King, par un jockey pakistanais à peine remis d'une vilaine chute à poney et portant le chantant nom de Sirhan Sirhan.
Enfin ça c'est l’histoire officielle...
Et Dugain, au prétexte de faire enquêter son protagoniste (nommé Mark O'Dugain what a surprise), un genre d'Indiana Jones canadien, mais dans un bureau, sur la mort précoce et mystérieuse de ses deux parents alors qu'il était adolescent, va s'employer à retracer la trajectoire de RFK et tisser les liens d'une trame historique des plus complexes dont l'intensité et l'importance des ramifications nous laisse un peu assommés.
L'auteur est passionné et passionnant, son écriture vive, fluide, permet de rendre compte des situations les plus complexes sans vraiment de longueur ni de lourdeur.
Car l'ouvrage est très dense, extrêmement documenté et souvent exigeant.
Mais la qualité documentaire vaut les efforts intellectuels de contextualisation des faits et enjeux historiques évoqués.
La réussite de Dugain, c'est ce juste équilibre entre documentaire et narration romanesque.
Sa force, c'est d'arriver à faire dire au lecteur: mais si c'était vrai?
Une construction de génie
Marc Dugain est un malin, et une grande partie de la réussite du roman repose sur sa construction.
Ainsi, les interrogations, distillées tout au long du roman, sur la santé mentale du narrateur, dont on ne saura pas grand chose au final, lui permettent de se libérer des exigences de la preuve pour se laisser aller aux théories les plus extrêmes, pourtant toutes déduites d'évidences niées, encore aujourd'hui, avec un aplomb qui forcerait presque le respect s'il n'engendrait pas tant de dégoût.
De même l'intrigue principale, la recherche par O'Dugain du lien entre la mort de ses parents et l’assassinat de RFK, permet à l'auteur d'aller et venir entre passé et présent, entre la France et l'Angleterre, les Etats-Unis et e Canada, et de mettre en avant les liens noués entre vieille Europe et Nouveau Continent depuis leur communion pendant la seconde guerre mondiale.
L'effet papillon...
Dugain ne se contente ainsi pas de juin 68, de l'assassinat de ce petit sénateur qui n’était, il faut le dire, que l'ombre de ses aînés.
Ce qu'il trace, au delà de cet épisode de l'histoire américaine, c'est un mode de fonctionnement, une idéologie mise en oeuvre par un Etat tout jeune, érigé sur les cadavres des autochtones.
Ce qu'il met en lumière, c'est une méthode implacable, un génie de l'illusion, la poudre jetée aux yeux d'un monde qui se laisse piétiner par des intérêts qui le dépassent, qui a écrasé comme un vieux mégot de cigarette la révolution contre culturelle du summer of love.
Un système bien rôdé qui continue de s'imposer en dépit de ses aberrations, la dernière en date étant d’avoir poussé le dernier des ignares arrivistes et psychopathes au milieu du bureau ovale...
Marc Dugain souligne notre indécente naïveté, stigmatise notre soumission facile:
Elle détonnait au milieu de ses camarades faiblement cultivés, dont l'attention était détournée par leur téléphone "intelligent", ce petit concentré d'informations qui a pris le pouvoir sur toute une génération pressée de savoir mais pas de penser.
Une génération pressée de savoir, mais pas de penser...
Ils vont tuer Robert Kennedy éclaire l'histoire, réveille l'esprit critique.
Je pense que c'était l'objet du livre, et c'est une réussite.

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