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Ordesa de Manuel Vilas: douleurs ibériques



😻😻
Ordesa
Traduit de l'espagnol par Isabelle Gugnon
Récit - 400 pages
Editions du Sous-Sol - 2019


✩ Présélection jury Grand Prix des lectrices ELLE 2020 ✩


"Il songe a présent à cette classe moyenne, à ce type d'auteur qui empeste l'échec et qu'on évoque également comme "le garçon qui se débrouille bien", sauf que le garçon en question a déjà plus de cinquante ans. Mais peu importe, car le monde entier, globalisé, s'achemine vers des lieux où les hiérarchies sont versatiles, misérables, déliquescentes, et puent le vieux, des lieux où, au bout du compte, plus rien ne signifie rien, et ça, c'est nouveau."

Mieux vaut être prévenu, si vous ouvrez Ordesa, c'est pas très cotillons comme lecture...

Manuel Vilas a la cinquantaine franchement dépressive, un peu alcoolique, et fait avec Ordesa le constat de son incapacité à faire le deuil de ses parents, lesquels lui ont transmis pour seul héritage le sentiment d'incarner l'échec dans la société espagnole.

Dans un récit chaotique, fait de pastilles de souvenirs accolées sans ordre les unes aux autres, Manuel Vilas se livre dans une impudeur brute, met au jour la détresse et le désespoir d'un homme qui n'a pas su, ou pu, communiquer avec ses parents, et qui, peut-être pour cette même raison, ne sait pas comment vivre sans eux.

Pas de résilience donc, mais de la rage, des cris, des larmes et une forme de sarcasme qui met un peu mal à l'aise tant il est l'expression d'un mal être qui ronge son auteur.

En revenant sur l'histoire (compliquée) de ses parents, Manuel Vilas évoque aussi l’histoire de son pays et celle d'une classe moyenne basse invisible, ces millions d'hommes et de femmes qui n'auront laissé aucune trace dans l'histoire, pas même une tombe pour s'y recueillir.

Manuel Vilas livre le malaise de ces laissés pour compte: "L'Espagne n'a rien donné à mes parents. Ni l'Espagne franquiste, ni l'Espagne monarchique".

Un sujet passionnant, donc, mais alourdi à mon sens par la détresse de l'auteur, sa rage non maîtrisée, à laquelle on essaie de s'accrocher, sans pouvoir, à mon sens vraiment s'identifier.

Il est délicat cependant de se prononcer définitivement tant il est certain que les niveaux de lecture de ce récit sont nombreux, dont l'accès dépend probablement de l'histoire personnelle et de l'empathie de chaque lecteur.

A titre personnel, je me suis trouvé peu d'atomes crochus avec cet auteur, sentiment renforcé par une écriture typique de la littérature espagnole, ou sud-américaine: très ampoulée, imagée... à laquelle je préfère l'épure, ainsi qu'une construction saccadée, volontairement incohérente, qui m'ont rendu le tout assez pénible, pour dire vrai.

Tant pis pour moi, mais il est certain que ceux qui sauront passer la forme pour entrer en contact avec l'auteur trouveront là le récit poignant d'un homme blessé.
































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