😻😻😻😻😻 - Coup de Coeur
Roman
Rivages 2016 - 330 pages
Rivages Noir 2017 - 330 pages
Prix des lecteurs Quais du polar 2017
Résumé
Bondrée est un territoire où les ombres résistent aux lumières les plus crues, une enclave dont l'abondante végétation conserve le souvenir des forêts intouchées qui couvraient le continent nord-américain il y a de cela trois ou quatre siècles.
Été 1967, l'humain a déforesté les contours de Bondary Pound, petit lac entouré d'une forêt dense à la frontière du Maine et du Québec, pour y installer des chalets peuplés d'hétéro-beaufs aux plates-bandes bien arrangées comme leurs idées, lesquelles sont constantes depuis l'arrivée du premier hiver sur terre.
Mais cet été là, celui du summer of love, les ados chantent Lucy in the sky with diamonds, et un monde s'écroule lorsque la déjà sulfureuse Zaza Mulligan est retrouvée morte, vidée de son sang, la jambe lacérée par un piège à ours.
Ce drame est inexplicable pour les occupants de la bourgade, ce genre de choses n'arrive pas à des gens comme eux...
Et puis un deuxième corps est retrouvé, et rejaillit alors une vieille légende, et le fantôme de Pierre Landry...
Parce que dans les années 40, Landry aurait fui la folie des hommes et les atrocités de la guerre en se réfugiant à Bondary Pond que Landry, trappeur francophone, prononce Bondrée.
Comme des milliers d'autres jeunes Yankees, il avait gagné à la loterie de Roosevelt un aller simple pour l'Europe, enrôlé avec tous ceux que l'on considérait comme aptes à se battre sans s'interroger sur leur aptitude à mourir ou côtoyer la mort.
Les hommes l'ont rattrapé pourtant, le poussant à s'enfoncer toujours plus dans la forêt. Il serait mort, fou d'amour éconduit, en se balançant au bout d'une corde au milieu des bois...
Pas de doute, Pierre Landry est revenu se venger....
Un roman d'ambiance
L'éditeur, en quatrième de couverture, compare Michaud à David Lynch...
Personnellement je n'ai jamais compris ni le sens, ni l'intérêt des films de Lynch.... Pour autant, j'imagine qu'il s'agit de stigmatiser le fait qu'Andrée A. Michaud, au-delà de l'enquête qu'elle déroule, et qui se révèle plus qu'accessoire, créé un univers, une atmosphère unique, et c'est tout l'objet du livre.
Bondrée pour protagoniste. Elle seule, la bourgade, comme une cloche au dessus des personnages. Chaque page qui se tourne les enferme un peu plus, Bondrée les avale, chaque mot prive de lecteur d'un peu plus d'air....
Bondrée, c'est l'année 67: un monde qui s'autodétruit inexorablement, une lueur étouffée, un trou noir qui absorbe la matière.
Et dans cet univers suffocant, Andrée A. Michaud explore l'âme humaine, comme on scrute le réel dans un vivarium à fourmis.
Bondrée est un incubateur.
Certains comparaient l'activité de ces bestioles à celle des humains, mais la comparaison ne tenait pas la route. L'agitation des fourmis avait un sens, alors que la course effrénée des hommes n'avait d'autre but que d'ignorer leur condition d'êtres mortels.
L'auteure cisèle la psychologie de ses personnages, extrêmement crédibles, douloureusement attachants.
Chaque comportement, chaque pensée des personnages est d'une justesse et d'une humanité peu courante.
Les femmes y ont une place toute particulière, elles dont la parole se faisait encore si peu entendre à l'époque.
Une merveille de littérature
Au delà du fond, dont le réalisme est appuyé par le choix des noms des personnages: la seule narratrice à intervenir à la première personne du singulier se prénommant Andrée, l'enquêteur principal se nommant quant à lui Michaud, ce qui contribue à la féroce efficacité du roman, c'est l'écriture d'Andrée A. Michaud.
L’auteure, c'est assez rare pour le préciser, déploie un style unique, un régal linguistique issu non seulement de la richesse de la langue québécoise, mais encore de l'habile mélange de l'anglais et du français qui participe à la création de cette atmosphère si particulière puisqu'entre Etats-Unis et Canada, entre anglais et français, on n'est plus vraiment où que ce soit...
L'écriture de Michaud isole Bondrée, renforçant la sensation d'un monde qui se replie sur lui-même.
Après ajustement au style de l'auteure, on constate que chaque phrase est presque en soi une oeuvre d'art. Chaque mot fait mouche.
L'écriture, cinématographique, nous enveloppe, nous enferme dans Bondrée comme dans un cocon.
Bondrée est un ouvrage qu'on ne voudrait jamais refermer.
Bien plus qu'un polar, Bondrée est un très grand roman.
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